jeudi 4 novembre 2010

Jet-Boulette-Pepetes


Ah, voyager en business class, pouvoir étendre ses jambes et avoir "l'agréable sensation de voler à bord d'un grand jet privé", comme le promet la marque Open Skies sur son site internet... Quelle alléchante promesse pour un avion de ligne !
Avec Openskies, pourrons-nous vraiment choisir notre horaire de décollage, recruter nos hôtesses, ne jamais faire la queue, fumer, et surtout refuser que des inconnus montent à nos côtés ? Ou alors, s'agit-il d'un vilain mensonge, nous prenant pour des imbéciles à l'aide d'un pompeux oxymore : "grand jet privé"... S'il est si grand, c'est parce qu'il est tout sauf privé !

Initialement, voici la publicité qui m'a amené sur le site d'Openskies (parue dans plusieurs magazines début octobre 2010, notamment les journaux gratuits type 20 minutes) :


Alléchant, non ? L'offre est claire : réservez un voyage avant le 30 novembre, indiquez une raison d'insatisfaction, et le voyage sera intégralement remboursé : "NE PAYEZ RIEN".

Alors, qu'y a-t-il de mensonger dans cette annonce ?
Premièrement, il y a un mensonge chronologique, puisqu'il s'agit d'une offre de remboursement. Vous devrez donc, d'abord, payer (un billet d'avion à plus de 1000 euros), puis espérer être remboursé. C'est la porte d'entrée du mécanisme mensonger.

Comment être remboursé ? Cela semble facile tant la raison proposée par la publicité est stupide : "Parce que... Il n'y a pas "avion" dans métro-boulot-dodo". Puisque c'est l'émetteur lui-même qui donne cet exemple, il ne pourra refuser aucun motif de demande de remboursement, même le moins idiot. Il y a tant de bonnes raisons de ne pas être satisfait d'un vol en classe affaire : "parce que dans votre jet, je me suis senti privé de compagnie", "parce que les avions polluent et qu'il faudrait interdire les classes affaire pour réduire les émissions de gaz à effet de serre", ou, sésame à tous les rêves, "parce que le jet privé à vos frais, je le vaux bien"...

La compagnie sera contractuellement obligée de vous rembourser, et elle le fera sûrement, selon ses termes et conditions, où réside précisément le délit de publicité mensongère...

Le "NE PAYEZ RIEN" de la publicité, relayé sur le site web, se transforme, dans les clauses de l'offre, en : "Le remboursement portera sur le prix du billet d'avion, hors taxes aéroportuaires, surcharges carburant, frais de réservation", etc., etc... Tout dépend donc de la répartition entre ces différents frais, et donc, le taux réel de remboursement.

Nous voilà donc réservant un billet pour New York. Nulle part pendant la commande il n'est possible de connaître la répartition entre le prix du billet et les taxes. Une fois le vol réservé et payé, l'information apparaît en anglais : Fare Details792.50 EUR + 267.14 EUR + 10.00 EUR * (Taxes/Fees/Charges) = 1,069.64 EUR.

Est-ce clair ? Non, pas vraiment... Mais voilà ce qu'il faut comprendre : 792,50 euros de taxes, 267,14 euros pour le billet. Donc, sur les 1069 euros débités pour ce vol, et dans le cas où vous avez parfaitement effectué la procédure, le remboursement sera de 267 euros, soit à peine un quart du prix du billet, tandis que 802 euros restent à votre charge ! La promesse "NE PAYEZ RIEN" n'est en réalité qu'une offre de remboursement de 25% de la somme dépensée.

Ainsi, Openskies se paye à bon compte une réputation de compagnie "irréprochable", prête à rembourser toute personne qui ne l'admettrait pas. Dans les faits, combien de personnes oseront utiliser cette offre ? Combien, parmi les lecteurs de journaux gratuits (distribués aux bouches de métro le matin), seront prêts à débourser plus de 1000 euros pour partir à New-York en business class dans les semaines qui suivent ? Des filtres quasiment paradoxaux qui devraient réduire à très peu le nombre de victimes réelles de l'arnaque. Et parmi celles-ci, combien oseront porter plainte ?

Le problème général de la lutte contre la publicité mensongère, c'est qu'elle révèle le caractère fondamentalement inégal et disproportionné de la publicité. Ne vous êtes-vous jamais demandé comment la publicité, qui est aujourd'hui le moteur de l'économie (à commencer par les médias), pouvait être rentable ? Comment se faisait-il qu'une marque de lessive puisse être gagnante en versant 100 000 euros à TF1 pour 30 secondes d'antenne, sans parler du coût de production ? L'explication est simple et réside dans les effets de masse, difficiles à percevoir instinctivement. Un exemple pour résumer : si vous êtes la marque la plus demandée, vous êtes sûr d'être vendu en supermarché. Donc, même ceux qui ne regardent pas TF1 vous achèteront...

La législation actuelle est donc trop naïve envers les marques et la communication mensongère, puisqu'elle n'intègre pas ces effets de masse à la protection des consommateurs. Elle ne protège, a posteriori, que ceux qui ont eu le courage de porter plainte malgré les risques importants pour eux (frais de justice, pression, etc.), et le petit gain espéré (difficile d'arguer le préjudice moral).

Les valeurs humanistes et l'histoire du 20ème siècle nous ont appris à détester la délation inter-individuelle. Mais ne faudrait-il pas instaurer un système de primes ou de protection afin que les citoyens osent se défendre contre l'empire des marques ?

Conclusion : n'ayant pas les moyens d'engager une procédure, j'ai utilisé mon droit de rétractation ; et "je ne recommanderais pas Openskies parce que... ils méritent d'être poursuivis en justice pour publicité mensongère !"

Prochain post : les cadeaux "personnalisés" d'Yves Rocher :D